Les appels pour une interdiction mondiale de l’amiante se multiplient et les pays décident les uns après les autres l’interdiction de l’amiante, y compris des pays qui étaient récemment encore producteurs et promoteurs, comme le Canada et le Brésil.
Bien que le risque mortel d’asbestose - fibrose liée à l’amiante - ait été identifié au début du XXème siècle, bien que le risque mortel de cancer du poumon et de la plèvre ait été suspecté dès les années 30 et solidement établi scientifiquement dans les années 50, ce n’est hélas que bien plus tard que les restrictions légales au commerce de l’amiante ont été édictées.
Les années 70: premières mesures d’interdiction partielle aux Etats-Unis et en Europe
Les premiers mesures d'interdiction partielle de l'amiante sont prises dans les années 70:
En 1971, plusieurs grandes villes américaines ont interdit les flocages et l’Environment Protection Agency (EPA), alors récemment créée, proposait d’étendre cette interdiction au pays entier, ce qui sera fait en 1973. Dès 1979 l’EPA envisage l’interdiction totale de l'amiante comme une alternative « si l’évaluation des risques pour la santé humaine et de l’impact économique, montre que les principales utilisations de l’amiante présentent des risques déraisonnables »
En Europe, les pays scandinaves, notamment le Danemark et la Suède, interdisent de nombreuses utilisations de l’amiante. En France, les flocages en amiante sont interdits en 1978.
En 1974, la France a importé 177 000 tonnes d’amiante, ce qui représente l’apogée de l’industrie.
Les années 80: les industriels de l’amiante luttent par tous les moyens contre l’interdiction de l’amiante.
Au cours de la décennie, le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suède interdisent l’amiante (avec quelques exemptions), tout comme la Suisse en 1989. Mais l’industrie de l’amiante s’organise et lutte pour défendre son commerce. Le Comité Permanent Amiante (CPA) est créé en France en 1982, peu après le congrès de Montréal «Amiante, santé et société». L’institut de l’amiante canadien est créé en 1984 (renommé Institut du Chrysotile en 2004). L’Association Internationale de l’Amiante (AIA) s’active sur tous les fronts et se coordonne avec les lobbies nationaux.
Deux grands projets d'interdiction de l’amiante vont rencontrer une opposition farouche des industriels.
• Projet d’interdiction de l’amiante aux Etats-Unis. Poursuivant au long de la décennie ses études et annonces, l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) soumet, en 1985, au gouvernement américain une proposition d’interdiction, puis annonce l’interdiction en 1986 et enfin édicte en 1989 sa décision d’’interdire progressivement toutes les applications de l’amiante aux Etats-Unis, en trois étapes, ayant conclu que «les principales utilisations de l’amiante présentent des risques déraisonnables ».
Cette décision favorable à la santé publique est néanmoins plusieurs fois contestée en justice et en 1991 la cours d’Appel de New-Orleans annule une large partie des mesures édictées par l’EPA, non pas parce que les juges n’étaient pas convaincus de la dangerosité de l’amiante, mais parce qu’il estimaient que, selon la loi (le Toxic Substance Control Act) l’EPA aurait dû envisager toutes les alternatives «moins pesantes pour les industriels».
Les industriels nord-américains ont ainsi gagné dix ans de commerce et importeront encore 300 000 tonnes d’amiante sur le territoire américain.
• Projet d’interdiction de l’amiante dans la Communauté Européenne. À la fin des des années 80, la Communauté Européenne, qui a alors déjà publié plusieurs textes de protection vis-à-vis de l’amiante (notamment la directive 477 de 1983), s’apprête à publier une directive interdisant l’amiante. L’initiative est venue de l’Allemagne, est appuyée notamment par les Pays-Bas, le Danemark et l’Italie. La France et ses représentants liés au CPA, s’y opposera hélas par tous les moyens, entraînant un moment Espagne, Grèce et Portugal. La France sera finalement le seul opposant à ce projet de santé publique.
La Communauté Européenne, faute de consensus, publiera finalement en 1991 la directive 382, imposant des précautions à l’industrie mais peu contraignante pour son commerce. Entre 1990 et 1993, Allemagne, Autriche, Finlande, Italie et Pays-Bas interdisent de leur côté l’amiante.
Le Comité Permanent Amiante a ainsi gagné 6 ans de commerce pour l’industrie française de l’amiante, qui importera entre 1990 et 1995 environ 280 000 tonnes d’amiante en France.
Les années 90: la France bascule enfin et l’industrie de l’amiante change ses cibles.
Au milieu de la décennie, une forte opposition à l’amiante - le Comité Anti Amiante Jussieu est très actif et participe à la création d’une association nationale de défense des victimes, l’Andeva. En 1995-96 le Comité Permanent vole en éclat: les syndicats le quittent, puis les représentants des ministères. Début juillet 1996, le ministre du Travail Jacques Barrot annonce l’interdiction de l’amiante en France; celle sera effective légalement à partir du 1er janvier 1997.
Le Canada tentera une manoeuvre honteuse: porter plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) contre la France et la communauté européenne pour entrave au commerce (de l’amiante!). Le Canada sera débouté, en première instance (2000) et en appel (2001). En fait l’industrie minière sait bien qu’elle ne vendra plus d’amiante en Europe, elle veut gagner encore du temps. Elle quitte l’Europe et les Etats-Unis pour se rabattre sur l’Asie et l’Amérique latine.
L’interdiction de l'amiante en France est suivie par la Belgique puis le Royaume-Uni et enfin l’intégralité de la Communauté Européenne (avec un délai trop important accordé jusqu’en 2005).
21ème siècle: le déclin trop tardif mais irréversible de l’industrie de l’amiante
L’interdiction de l’amiante en France, puis dans toute la communauté européenne, a eu un effet domino important, de nombreux pays arrêtant d’utiliser l’amiante ou l’interdisant complètement. Ainsi en Amérique du Sud l’Argentine, le Chili et l’Uruguay interdisent l’amiante; en Afrique l’Algérie, l’Egypte, et surtout l’Afrique du Sud, un des producteurs majeurs d’amiante interdisent l’amiante. En Asie le Japon, importateur massif d’amiante, interdit l’amiante, ainsi que la Corée du Sud, Israël, la Jordanie et l’Arabie Saoudite. En Océanie l’Australie interdit l’amiante, suivie tardivement par la Nouvelle Zélande.
La fin de la deuxième décennie est marqué par deux évènements majeurs et symboliques
• Le Canada, producteur historique d’amiante et principal créateur de la propagande mensongère et meurtrière concernant les dangers de l’amiante, le Canada, qui ne produit plus d’amiante depuis 2011 et l’arrêt de la mine Jeffrey, décide officiellement d’interdire l’amiante en 2018!
• Le Brésil, producteur majeur d’amiante, où la production a été initiée dans les années trente par le groupe français Saint-Gobain, décide d’interdire l’amiante par voie judiciaire. Le Tribunal Suprême reconnait, en novembre 2017, que l’extraction et l’utilisation de l’amiante est contraire à la constitution brésilienne, qui stipule en particulier que l’état est garant de la santé des travailleurs et de l’environnement.
Bilan actuel (janvier 2019)
On peut se réjouir de plusieurs progrès importants:
• plus de soixante pays ont interdit l’amiante, dont la majorité des anciens gros producteurs d’amiante (Afrique du Sud, Brésil, Canada, Italie);
• l’immense majorité des pays n’utilisent plus d’amiante. En fait la quasi totalité de l’amiante produit dans le monde est consommé dans une dizaine de pays.
Néanmoins trois pays produisent encore massivement de l’amiante: la Russie, le Kazakhstan et la Chine, les deux pays les plus peuplés de la planète - l’Inde et la Chine - consomment encore massivement de l’amiante (plusieurs centaines de milliers de tonnes par an) même si cette consommation diminue. Les pays d’Asie du Sud - Indonésie, Sri Lanka, Thaïlande et Vietnam consomment encore beaucoup trop d’amiante, comme les pays de l’ex-bloc soviétique: Biélorussie, Ouzbekistan, Kyrgystan. Le cas de l’Ukraine est particulièrement frappant: l’interdiction a été décidée par le ministère de la santé en 2017, mais le ministre de l’industrie l’a annulée et la question est encore en débat.
Les ravages de l’amiante et son commerce ne cesseront que lorsque les gouvernements suivront les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé au lieu de suivre les intérêts financiers d’une poignée de leurs industriels.
09/02/2019