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Amiante et Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

L'organisation mondiale du commerce (OMC) est intervenue sur la question de l'amiante suite à la plainte déposée en 1998 par le Canada (alors grand producteur et exportateur d'amiante) contre la France et la communauté européenne. La France venait d'interdire l'amiante sur son territoire, menaçant un effet domino (qui s'est d'ailleurs concrétisé). L'OMC a rendu un jugement à bien des égards historique pour conclure le différend opposant le Canada à la France et la Communauté Européenne. Le gouvernement Canadien avait en effet contesté à la France le droit de protéger sa population en interdisant l’amiante et prétendu qu’il s’agissait là d’une entrave au libre commerce. Le cas s’appelle :

« Communauté européenne - mesures affectant l’amiante et les produits en contenant »

L’OMC a constaté que l’interdiction de l’amiante était en partie contraire aux accords GATT de 1994 (General Agreement on Tariffs and Trade - Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce) mais a toutefois reconnu que l’interdiction de l’amiante est une mesure de santé publique nécessaire à la protection de la santé et de la vie des personnes et donc parfaitement justifiée au titre de l’article XX des accords GATT (General Agreement on Tariffs and Trade -- accord général sur les tarifs douaniers et le commerce).

L’article XX du GATT dit précisément que :

« Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l’adoption ou l’application par toute partie contractante des mesures [...] nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux [...]  »

L’OMC a donc rejeté la plainte du Canada en 2000, puis confirmé cette décision en 2001, après que le Canada ait fait appel.

 

1. L'HISTOIRE DE LA PLAINTE DU CANADA AUPRÈS DE L’OMC

Rappelons les principaux épisodes et le rôle des protagonistes.

1996 : La France interdit l’amiante

Après d’intenses discussions et suite à la présentation du rapport de l’INSERM « Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante » le gouvernement français décide d’interdire l’amiante en France. L’interdiction de l’amiante est annoncée officiellement par le Ministre du Travail et de la Santé (Jacques Barrot) le 3 juillet 1996 ; elle devient effective à partir du 1er janvier 1997, édictée dans le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996 

La France était seulement le 11ème pays d’Europe à interdire l’amiante ; l’avaient précédée en Europe les pays suivants : Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, Islande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Suède et Suisse. Mais cette décision était très importante : elle a levé le dernier obstacle à l’adoption par l’Union Européenne d’une directive préconisant l’interdiction de l’amiante dans l’ensemble de ses états membres : en 1999 le Royaume-uni décide d’interdire à son tour l’amiante ; l’interdiction de l’amiante dans la Communauté Européenne sera adoptée le 4 mai 1999 et une directive l’officialisera le 26 juillet 1999.

Les marchands d'amiante canadien et leur allié de l'époque - le gouvernement canadien -    savent qu’ils ne pourront plus vendre d’amiante à la France et plus généralement en Europe mais ils craignent une contagion et décident de contre-attaquer. Dans un premier temps les autorités canadiennes demandent à la Société Royale du Canada un « contre-rapport » sur le rapport INSERM. L’objectif clairement annoncé est de discréditer ce rapport scientifique.

La manoeuvre échoue lamentablement ; en effet la commission désigne un épidémiologiste honnête (Pr. Enzo Merler, travaillant pour le Centre International de Recherche sur le Cancer, Lyon et le Centre d’Étude et Prévention du Cancer à Florence). Les autres experts nommés par les canadiens tentent bien de dénigrer timidement le texte de l’expertise collective mais dans le chapitre principal (celui concernant l’épidémiologie) le professeur Merler conclut « Le Rapport de l’INSERM est d’une qualité, d’une exactitude et d’une exhaustivité exceptionnelles ». Ne trouvant pas d’appui auprès des scientifiques, le gouvernement canadien se tourne donc vers les organismes internationaux du commerce.

1998 : Le Canada porte plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)

Le Canada prétend que la décision française d’interdire l’amiante ne constituait pas une mesure indispensable de santé publique mais une intolérable atteinte à la liberté du commerce !

Le gouvernement canadien décide donc de porter plainte pour entrave au commerce contre la France et la Communauté européenne ; la décision de porter plainte contre la Communauté Européenne est motivée par le souhait d’une part d’éviter que l’Europe ne se mette à interdire trop vite l’amiante et d’autre part de s’assurer que les experts que l’OMC n’allait pas manquer de nommer ne soient pas européens.

Trois pays sont intervenus comme tierce partie dans la procédure.

 Les Etats-Unis ont soutenu la position française et dénoncé les mensonges canadiens. C’est la seule et unique fois que les Etats-Unis et la Communauté Européenne ont défendu la même cause devant l’OMC !

 Le Brésil et le Zimbabwe (à ce moment là, deux pays grands producteurs et exportateurs d’amiante) ont soutenu le Canada avec une série de mensonges assez voisins des allégations canadiennes.

Les canadiens étaient optimistes : ils avaient déjà invoqué les accords GATT dans leurs procédures pour faire annuler l’interdiction de l’amiante promulguée par l’EPA aux Etats-Unis. Même si les juges américains ont rejeté les interventions du Canada, ils ont annulé partiellement, en 1991, l’interdiction de l’amiante promulguée aux Etats-Unis en 1989.

2000 : L’OMC soutient l’interdiction de l’amiante !

L’OMC forme donc un « groupe spécial » qui sera chargé d’appliquer la procédure de règlement des différends. La procédure sera longue car les juges de l’OMC souhaitent naturellement recueillir l’avis d’experts sur les questions scientifiques concernant l’amiante.

Le Panel d’experts désignés par l’OMC et acceptés par les parties est composé de trois australiens (Dr de Klerk, Dr Henderson, Dr Musk) et un américain (Dr Infante).

Les principales conclusions que l’OMC retient des écrits et déclarations du panel d’experts sont les suivantes :

 1. Il n’y a pas de niveau d’exposition à l’amiante chrysotile qui n’entraîne de risque de cancers.

 2. L’« usage contrôlé » (ou « usage sécuritaire ») de l’amiante n’est pas réaliste, particulièrement dans l’industrie de la construction.

 3. Des produits ne présentant pas les mêmes risques sont disponibles pour remplacer les produits les plus courants contenant de l’amiante, notamment les matériaux de construction en amiante-ciment.

L’OMC fait remarquer que l’interdiction de l’amiante est en partie contraire aux accords GATT mais reconnait toutefois que l’interdiction de l’amiante est une mesure de santé publique nécessaire à la protection de la santé et de la vie des personnes et donc parfaitement justifiée au titre de l’article XX des accords GATT.

L’OMC rejette donc la plainte du Canada. C’est la première fois que l’OMC accepte de faire prévaloir la santé publique sur la liberté de commerce.

2001 : L’OMC déboute en appel le Canada

Le gouvernement canadien, manifestement déçu, s'acharne et décide de faire appel de la décision de l’OMC en argumentant que les juges en première instance ont commis des erreurs de droit et mal interprété les faits scientifiques. Le Brésil et les Etats-Unis maintiennent leurs positions, le Brésil continuant à appuyer la démarche du Canada, les Etats-Unis reconnaissant que la décision de la France est rationnelle et vise un impératif de santé publique. Le Zimbabwe demande seulement à assister au nouveau débat mais n’intervient pas.

Les mensonges proférés en appel par les représentants du gouvernement canadien feraient rougir toute honnête personne :

Le Canada a ainsi prétendu très officiellement 
  « ce sont les matériaux friables contenant des amphiboles qui présentent un risque pour la santé des personnes ; la manipulation des produits en chrysotile-ciment ne présente pas de danger pour la santé des personnes » 
  « qu’il n’existait aucun risque accru chesz les mécaniciens travaillant dans les garages et sur les freins, ou chez les travailleurs de la construction, par suite de manipulation de l’amiante chrysotile ». 
 qu’il existait par contre un risque avec « faux sentiment de sécurité suscité chez le public français en raison de l’absence d’un tel cadre [de réglementation de l’usage contrôlé des produits de substitution] »

Le Canada a également tenté l’argument qui avait fonctionné auprès de la Cour d’Appel américaine pour annuler la décision d’interdiction de l’amiante aux USA. À savoir que, selon les représentants canadiens, « on ne peut écarter une autre possibilité moins restrictive pour les échanges que s’il est démontré qu’elle est impossible à mettre en œuvre » et d’ajouter « il existe des normes internationales pertinentes concernant l’utilisation contrôlée du chrysotile qui constitue un moyen efficace et approprié d’atteindre l’objectif de protection de la santé des personnes poursuivi par la France ».

On reste perplexe sur ces soit-disant « normes internationales » que le Canada se garde bien de citer ! L’Institut de l’Amiante a souvent tenté de faire accréditer que la convention « amiante » n°162 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) recommandait l’usage contrôlé, ce qui est parfaitement faux ; de même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne prone aucunement l’usage contrôlé.

2. BRÈVE ANALYSE DU JUGEMENT DE L’OMC ET CONSÉQUENCES

Il convient de noter d’emblée un aspect essentiel de ces procédures devant l’OMC : la charge de la preuve incombe au défenseur de la santé publique !

Dans le cas de l’amiante ces preuves sont évidemment disponibles depuis longtemps. Ainsi les membres du « groupe spécial » ont constaté que

 l’objectif de Santé Publique est clairement établi : protéger la population française et tout particulièrement les travailleurs du bâtiment du risque de cancer dû à l’amiante ; 
 les dangers dus à l’utilisation de l’amiante sont très largement prouvés scientifiquement et même en bonne partie quantifiés ;
 
 la mesure est « nécessaire » ;

Le rapport argumente ainsi : « A fortiori et pour les raisons suivantes, nous estimons que l’usage contrôlé n’est pas une alternative raisonnablement disponible dans tous les autres secteurs [autres que l’industrie minière et transformatrice] où les travailleurs peuvent être exposés au chrysotile ».

Le Groupe spécial note que les allégations du Canada se limitent au chrysotile et aux produits en chrysotile-ciment. Or, le chrysotile-ciment est essentiellement employé dans le secteur du bâtiment. Comme l’ont confirmé les experts, le secteur du bâtiment, du fait de la mobilité des travailleurs et de leur formation parfois déficiente, ainsi que de la multitude des chantiers et donc des personnes susceptibles d’être exposées est très difficile à soumettre à des pratiques d’hygiène de travail sophistiquées, du type de celles qui peuvent s’appliquer dans des secteurs où le nombre d’employés est restreint et où le travail est concentré dans des lieux circonscrits.

Par conséquent, le Groupe spécial conclut que «  les Communautés européennes ont démontré que l’usage contrôlé n’était, au moins dans les secteurs du bâtiment et pour les bricoleurs, ni efficace ni raisonnablement disponible. Nous concluons donc que l’usage contrôlé ne constitue pas une alternative raisonnable à l’interdiction de l’amiante chrysotile  »

Enfin l’OMC ajoute :

 « le décret interdit l’amiante, quelque soit sa provenance et par conséquent ne constitue pas un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les même conditions existent » ; 
 « on ne peut trouver d’éléments qui établiraient que le décret d’interdiction est une restriction déguisée au commerce international  ».

L’OMC conclut donc que le Décret d’interdiction de l’amiante satisfait les conditions du paragraphe b) de l’article XX du GATT de 1994.

L’Organe d’Appel de l’Organisation Mondiale du Commerce infirme sur certains points (mineurs) le rapport du « groupe spécial » de l’OMC, mais confirme le jugement sur le point essentiel, à savoir la justification de l’interdiction de l’amiante au titre de l’article XX des accords GATT. Tout comme le « groupe spécial », l’organe d’appel interprète le texte de l’article XX de manière extrêmement restrictive : pour être justifiée au nom de cet article une telle mesure doit reposer selon l’OMC

 sur un objectif clairement énoncé ;

 sur un risque clairement et scientifiquement établi ;

 être nécessaire c’est-à-dire [pour l’OMC] qu’il ne doit pas exister d’alternative raisonnablement disponible qui soit moins contraire au libre commerce ;

 sur une justification que la mesure ne constitue pas un « moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les même conditions existent » ;

 sur une preuve que la mesure ne constitue pas une « restriction déguisée au commerce international ».

Néanmoins les experts juridiques de l’OMC n’ont guère eu d’autre choix que de reconnaître que toutes ces conditions sont remplies quant à l’interdiction de l’amiante et concluent de nouveau au rejet de la plainte canadienne.

La principale conclusion de la procédure est résumé ainsi par l’OMC :

« Ayant convenu avec le Groupe spécial que la mesure protégeait la santé et la vie des personnes et qu’il n’existait pas de solution raisonnablement disponible autre que l’interdiction , l’Organe d’appel a confirmé la constatation du Groupe spécial selon laquelle l’interdiction était justifiée en tant qu’exception au titre de l’article XX b). Le Groupe spécial a aussi constaté que la mesure remplissait les conditions énoncées dans le texte introductif de l’article XX, en ce sens qu’elle ne constituait ni un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable, ni une restriction déguisée au commerce international. »

3. CONCLUSIONS.

L’OMC a donc reconnu, dans le cas de l’amiante, la prévalence des décisions prises pour des motifs de Santé Publique (article XXb des accords GATT) sur les règles d’équité de commerce international (en particulier l’article III:4).

Il est à noter cependant que l’argumentation a visiblement été soigneusement étudiée pour ne s’appliquer qu’au cas de l’amiante ; le souci est à l’évidence de ne pas ouvrir une brèche qui permettrait de faire prévaloir les impératifs de santé publique sur les considérations purement commerciales ! L’OMC reste fidèle aux principes de l’OMC.

Un autre point est particulièrement préoccupant : l’ensemble de la procédure laisse clairement voir que pour l’OMC la charge de la preuve incombe au pays qui souhaite prendre des mesures de santé publique. Ainsi la Communauté Européenne a dû s’acquitter de la preuve de la dangerosité de l’amiante et de l’impossibilité de mettre en oeuvre une réglementation moins contraignante et suffisamment protectrice.

Le bon sens et la santé publique voudraient que, d’une part, une autorité sanitaire ou un ministre de la santé d’un pays puisse prendre des mesures correspondant à un risque pour une partie de la population et que la charge de la preuve d’innocuité repose sur le vendeur d’un produit.

Un dernier point mérite d’être souligné. Si les dépositions du panel d’experts, des parties et les rapports du « groupe spécial » et de « l’organe d’appel » sont rendus publics à l’issue de la procédure, l’ensemble de celle-ci reste essentiellement opaque.

04/02/2019